C’est une habitude bien ancrée chez des millions de jeunes femmes, de mamans débrouillardes et d’ados à l’affût de la dernière tendance : commander une robe à 7€, un top à 3€, un jean à 10€ sur Shein, le géant chinois de la fast fashion. Mais cette routine, qui permettait jusqu’ici de suivre la mode sans exploser son budget, est peut-être en train de vivre ses dernières heures. Et les clientes commencent à s’en rendre compte.
Entre la loi sur les « petits colis » votée à Bruxelles et la taxe fast fashion que le gouvernement français prévoit d’appliquer dès 2025, l’addition risque de devenir salée. Objectif affiché : réduire l’impact environnemental et rééquilibrer la concurrence avec les marques locales. Conséquence directe : ce sont les consommatrices les plus modestes qui vont en faire les frais.
Une double peine pour les petits budgets
« Je commande sur Shein tous les mois pour mes trois enfants. Je n’ai pas les moyens d’acheter en magasin, tout simplement. » Audrey, 34 ans, assistante maternelle à Nîmes, fait partie des clientes qui s’inquiètent des changements à venir. Comme elle, plusieurs millions de Français ont pris l’habitude de commander des vêtements à bas prix sur des plateformes comme Shein, Temu ou AliExpress. Grâce à des tarifs défiant toute concurrence, ces sites ont conquis les foyers les plus serrés. Mais ce modèle est en train de vaciller.
Première mesure : la fin de l’exemption de TVA pour les petits colis de moins de 150 € envoyés directement de Chine. Depuis le 1er juillet 2021, cette règle avait déjà été supprimée au niveau européen, mais son application restait aléatoire. À partir de 2025, un renforcement des contrôles douaniers et une taxation systématique sont prévus. À la clé : une hausse mécanique des prix, des délais allongés, et une multiplication des frais surprises à la réception du colis.
Et ce n’est pas tout.
La taxe fast fashion, le second effet Kiss Cool
Dans la foulée, la France prévoit d’introduire une éco-contribution spécifique pour les vêtements issus de la fast fashion, avec une taxation pouvant représenter jusqu’à 50 % du prix du produit. Autrement dit, un top à 4 € pourrait bientôt coûter 6 €, voire 7 €, une fois la taxe appliquée. Le projet vise directement les plateformes accusées de surproduction textile et de pollution massive.
« Si je dois payer le double, j’arrêterai tout simplement d’acheter », commente Mélissa, 22 ans, étudiante à Dijon. Comme elle, de nombreuses jeunes clientes, souvent issues des classes populaires ou étudiantes, craignent d’être les oubliées de la transition écologique. Pour beaucoup, la mode à bas prix n’est pas un choix de style, mais une nécessité économique.
Un débat qui divise
Ces nouvelles mesures s’inscrivent dans un mouvement plus large de régulation des importations à bas coût, au nom de la planète mais aussi de la relocalisation industrielle. Officiellement, le but est de lutter contre la surconsommation et d’encourager les achats responsables. Mais sur le terrain, la réalité est plus contrastée.
Les associations de consommateurs alertent sur le risque de précariser davantage les ménages modestes, qui n’ont ni les moyens de s’offrir des marques écoresponsables, ni l’accès à des alternatives durables. « On veut bien acheter local et bio, mais avec quoi ? » interroge Sabrina, mère célibataire à Roubaix. « Même les friperies sont devenues hors de prix ! »
Du côté des enseignes de fast fashion, c’est le silence radio. Shein continue d’afficher des croissances records, et prépare même l’ouverture de points relais et de pop-up stores en Europe. Mais en coulisse, la marque s’adapte : robotisation des entrepôts, tests de fabrication locale, recyclage textile… De quoi donner des arguments à ses défenseurs, qui soulignent que la fast fashion pourrait aussi évoluer, plutôt que disparaître.
Des conséquences sociales sous-estimées ?
Derrière la question du t-shirt à 3 €, c’est tout un modèle social et générationnel qui est remis en question. Pour beaucoup, ces plateformes sont aussi un vecteur d’inclusion. Elles permettent à des jeunes de banlieue ou des familles rurales d’avoir accès aux mêmes tendances que leurs homologues urbains plus aisés. TikTok, Instagram, Shein haul : la culture mode se vit aujourd’hui en ligne, et la rupture d’accès pourrait accentuer les fractures.
« C’est facile de faire la morale quand on a les moyens », s’agace Inès, 18 ans, lycéenne en lycée pro à Marseille. « Moi j’aime la mode. J’ai pas envie de porter le jogging de mon frère ou de m’habiller à Noz. »
Vers un retour en arrière ?
À terme, ces mesures pourraient provoquer un retour à des achats plus rationnels, plus durables, certes. Mais elles risquent aussi d’alimenter un sentiment d’injustice, voire de stigmatisation. Car si l’on veut inciter à consommer mieux, encore faut-il proposer des alternatives accessibles. Or aujourd’hui, les marques éthiques restent réservées à une élite. Et les soldes ne suffisent plus à compenser.
Pour les clientes les plus fidèles de Shein, l’avenir s’annonce flou. La mode à petit prix va-t-elle devenir un luxe ? C’est tout le paradoxe d’une transition écologique imposée sans filet social. Et dans les paniers virtuels des Françaises, les articles à 1,50 € risquent de disparaître… remplacés par l’attente, le doute et une facture plus salée.
La fin de la mode bon marché n’est pas encore actée, mais elle se dessine. Entre taxe écologique et contrôles douaniers renforcés, les clientes de Shein pourraient bien devoir changer leurs habitudes… ou s’en trouver exclues. Une révolution silencieuse qui ne dit pas encore son nom — mais qui se fera sentir dans les boîtes aux lettres.